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  • 11 février 2013

    Toda Mafalda, ou le monde désenchanté de Quino

    Je connaissais Mafalda depuis un certain nombre d'années sans jamais l'avoir vraiment lue. Pour tout dire, ce drôle de petit personnage a croisé ma route à plusieurs reprises sur les livres d'espagnol lorsque j'étais au collège puis au lycée. Trois fois rien, et pourtant je me souviens exactement du contenu de l'une de ces "historiettes" en trois cases : Mafalda et son père sont sur le point de brancher la guirlande électrique du sapin de noël. Le père demande "Tu sais ce que les Rois Mages ont apporté au petit Jésus ?". La case suivante la maison est plongée dans le noir à cause d'un court-circuit. Et Mafalda de répondre "Oui. Des fusibles !". Simple, cinglant. Je n'en savais guère plus sur les aventures de Mafalda jusqu'à ce que j'arrive en Argentine.

    Ici Mafalda est une vedette, que dis-je, une icône, une fierté nationale qui possède depuis 2009 son effigie au beau milieu du très touristique quartier de San Telmo. Car Mafalda est Argentine. Son papa, Quino, est né à Mendoza avant de venir vire à Buenos Aires. Et ici tout le monde connaît Mafalda, cette fillette qui, malgré ses presque cinquante ans, n'en finit plus d'avoir sept ans. C'est en effet en 1964 que Mafalda a vu le jour, sévissant pendant neuf ans dans les colonnes de divers journaux argentins au rythme d'une popularité qui ne s'est jamais démentie.

    Statue de Mafalda, dans le quartier de San Telmo, où vécut Quino.

    Alors, lorsque j'ai découvert dans la vitrine de la première librairie cet épais et consistant ouvrage sobrement intitulé "Toda Mafalda", regroupant l'intégrale des planches publiées par Quino consacrées à son personnage fétiche, l'évidence qu'il me le fallait s'est imposée d'elle même.

    C'est toutefois avec un brin d'appréhension que je me lançais dans cette lecture. Car, ne nous y trompons pas, Mafalda n'est pas un comic strip tout à fait ordinaire. La très documentée et très instructive préface le rappelle excellemment : Mafalda est avant-tout le reflet de son époque et de son pays, et se pose des questions, souvent hautement métaphysiques, nourries par les inquiétudes de son temps, celles des années 60-70 : la guerre froide, le rideau de fer, le communisme, Cuba, la bombe atomique, la Chine, mais aussi par ses espoirs et ses rêves tels que le furent alors l'épopée fantastique de la conquête spatiale, l'apparition de la télévision ou le souffle nouveau des Beatles sur les ondes radio. 

    D'où mon interrogation : quelle actualité pouvait bien conserver Mafalda en 2013 ? N'allais-je pas me confronter à un ensemble d'archives au contenu plus ou moins strictement historique ?
    1/ - Maman, à partir de quel âge on est vieille ? 2/ - Ça dépend Mafalda. En réalité ce n'est pas une question d'âge mais plutôt de garder l'esprit jeune. 3/ - ... 4/ - Bon d'accord, mais l'esprit... à quel âge il commence à avoir besoin de maquillage ?

    La lecture des premiers strips ma apporté une réponse claire et nette : malgré les années, les remarques acerbes de la fillette que tout le monde rêverait de connaître mais dont personne ne souhaiterait être les parents n'ont pas pris une ride. C'est simple, j'ai dévoré les 150 premières pages sans m'en rendre compte.

    Mafalda n'est pas une petite fille tout à fait ordinaire. Certes comme tous les enfants de son âge, elle partage sa vie entre ses amis et ses parents qu'elle assaille de redoutables questions intemporelles. La vie, la mort, la vieillesse, l'amitié, l'argent, la guerre, la condition humaine et toutes ses bassesses... Des thèmes éternels qui, mis en scène par la fine plume et l'esprit acéré de Quino, font mouche à tous les coups. On pourrait presque comparer chaque saynète à une fable, acide, dont la morale serait laissée à l'appréciation de chacun, toujours drôle, mais souvent pour nous faire rire jaune.
    Mafalda n'est pas seulement un personnage de BD, elle est un miroir sans foi ni loi qui fait rejaillir, l'air de rien, toutes nos inquiétudes les plus profondément enfouies.
    1/ - Quel bonheur que Mafalda commence à aller à l'école ! 2/ - Oui, c'est merveilleux : nous avons une fille qui va déjà à l'école. 3/ - ... 4/ - On a une fille qui va déjà à l'école ! 5/ - ...


    1/ - Tu crois à l'égalité des Hommes, Manolito ? - Bien sûr que NON ! 2/ - Cette idée que les Hommes sont tous égaux est stupide. 3/ - Il n'y a pas deux personnes égales, ni personne qui soit égal à personne. Qui t'a parlé de cette idiotie d'égalité ? - Mon papa. 4/ Ça alors ! Ces parents, c'est bien tous les mêmes !

    L'autre facette de Mafalda relève du pamphlétaire. Malgré ses airs innocents, Mafalda est en effet un puissant outil de critique sociale et politique qui passe au scalpel de son esprit faussement naïf les moindres contradictions de ce monde qui va si mal et qu'elle désespère de voir aller mieux un jour. Bien sûr, il faut y voir le reflet des angoisses d'une époque qui était alors riche en préoccupations internationales. Cinquante ans plus tard les polarités mondiales et tensions politiques ont (un peu) changé, mais les peurs de naguère n'ont pas disparu pour autant et des questions telles que la paix dans le monde demeurent d'une actualité tristement moderne.
    1/ - "En ce moment même se réunit à Genève la Commission qui devra aboutir à un accord de désarmement nucléaire" 2/ - Genève c'est la capitale de la Suisse ?. 3/ - Non. C'est la capitale de l'échec.


    1/ - " Réponde simplement et clairement aux question des enfants accroît la communication de ces derniers avec ses parents"  2/ - Simplement et clairement ! À partir de maintenant c'est comme ça que je répondrai aux questions de Mafalda ! 3/ - Papa, tu pourrais m'expliquer pourquoi l'humanité va si mal ? 4/ - Il s'est endormi ?

    Enfin, personnage né en Argentine d'un auteur lui même Argentin, Mafalda est aussi un redoutable critique de la société argentine, de ses dirigeants corrompus, de ses citoyens résignés, d'un pays en déclin qui n'a plus foi en son avenir ni ne semble retirer de gloire de son passé. Et le plus frappant dans cette histoire est de constater au fil des pages combien, Ô combien, rien n'a changé depuis. C'en est même inquiétant... Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis demandé si vraiment tout cela avait été dessiné cinquante ans en arrière ou s'il ne s'agissait pas plutôt d'un coup de griffe paru la semaine passée.   
    1/ - Tu es encore allongé là comme la dernière fois, sans rien faire à attendre quelque chose de la vie, Miguelito ? 2/ Non, Mafalda. Cette fois j'ai pensé à toute les industries, aux champs semés, au digues, aux magasin, aux chemins,... 3/ ... aux hôpitaux, aux bibliothèques, aux musées, aux laboratoires, aux bureaux,aux théâtres, ... - ET ? 4/ Et j'en suis arrivé à la conclusion que, pour le moment tout a été fait et que je peux me reposer. 

    Se plonger dans la lecture Mafalda est donc bien plus que lire de la bande dessinée humoristique certainement la plus connue de toute l'Amérique Latine. Lire Mafalda c'est aussi replonger dans une période fascinante de notre histoire moderne, celle-là même dont on commence seulement à prendre le recul suffisant à sa pleine compréhension. Mais c'est aussi une clé de lecture absolument formidable, ludique et indispensable à quiconque désire comprendre l'Argentine telle qu'elle était hier et telle qu'elle est, hélas, demeurée quasi-inchangée jusqu'à aujourd'hui.

    1/ - Papa, ils vivent où les gens qui ne sont pas encore nés ? 2/ - Ce sont des gens qui n'existent pas Mafalda. Ils ne vivent nulle part. Pourquoi ? - Aaah... Non, pour rien. 3/ ... 4/... 5/ "Avant de venir, Réfléchissez !"

    Le monde de Mafalda, en dépit du jeune âge dont elle a pour toujours l'apparence, n'est donc pas un monde merveilleux où tout n'est que rires et chants, non. C'est un monde angoissé, cru et désanchanté, un cri de détresse entre rires et larmes. 

    7 commentairess:

    1. Si l'intégrale de Mafalda n'est pas parue en français, je suggère à l'éditeur de t'acheter ce texte pour en faire la préface. Merci du partage

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    2. Merci !!! Tu viens de me faire une très intelligente prépa de cours !
      Je vais l'utiliser, c'est certain...
      Biz!

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    3. Elle n'aime toujours pas la soupe ? :)

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    4. Merveilleux hommage à une héroïne essentielle. Je partage de ce pas sur Facebook (faut bien que ce machin serve aussi les bonnes propagandes)!

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    5. @ Francois : Je crois qu'une édition de tout Mafalda - différente de celle que tu m'as montrée sur FB - est toujours disponible en librairie. Mais franchement, je ne voudrais pas être à la place des traducteurs qui ont du affronter et retranscrire le vocabulaire parfois singulier et surtout l'accent argentin (avec ses fameux "vos" en guise de "tu" accompagné se sa conjugaison typiquement locale) qui donne à Mafalda une identité que je n'aurais pas imaginée avant d'être ici.

      @ Francoise : Ho mais je t'en prie ! Si cela peut rendre service :) En revanche, comme je l'indiquais à Francois, utiliser Mafalda comme support de cours est redoutable pour sa conjugaison. Voir écrit "Vos venis" au lieu de "Vienes" oubien "Sos" au lieu de "Eres" peut s'avérer déroutant pour de jeunes élèves...

      @ Olivier : Je crois bien que non :-)

      @ Jean-Christophe : Merci ! Je suis assez mal placé pour savoir quelle est la côte de popularité de Mafalda en France - étant donné que je ne l'ai jamais vraiment lue. Ce qui est certain c'est qu'elle gagne largement à être connue, et certainement pas auprès d'un public infantile.

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    6. La soupe c'est horrible, c'est bien connu, cette gamine a raison. Notre comptable est le neveu de Quino, ce qui permet d'admirer des originaux quand on est invités chez lui... ;)

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    7. Genève, la capitale de l'échec... A méditer !
      Merci pour ce long billet sur Mafalda et sa philosophie de la vie !

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